Version: 8 septembre 1999


L'Archéoacoustique

- rêve de chuchotements, ou possibilité?

 

Par Archéoacoustique j'entends la récupération de sons d'une époque antérieure à l'invention de l'enregistrement sonore. Ceci sous-entend que l'on aurait enregistré de tels sons par inadvertance, en faisant autre chose. Peu de choses ont été écrites à ce sujet et seulement de très rares expériences ont été faites, mais je trouve la question assez fascinante pour braver les eaux profondes d'une idée non prouvée et toujours dédaignée.

A ce jour aucun ancien son n'a été entendu, et les seules expériences effectuées ont été des tentatives pour reproduire les conditions dans lesquelles de tels enregistrements auraient pu se produire, tentatives couronnées de succès, si l'on en croit les publications de ces recherches.

Les expériences de Woodbridge

La première publication sur le sujet est probablement celle de 1969, dans laquelle Richard G. Woodbridge III relate quatre expériences dans une lettre dans les Actes de l'IEEE 1. Dans la première expérience, il pouvait récupérer le bruit produit par le tour du potier à partir d'une poterie, en utilisant une cellule piézo-électrique tenue à la main (Astatic Corp. Model 2) munie d'une pointe de bois, connectée directement à un arrangement de casques audio. La deuxième expérience dégageait le ronflement 60 Hz du moteur qui entraînait la roue du potier. Les expériences suivantes sont plus intéressantes, mettant en jeu une toile que l'on peint pendant qu'on l'expose aux sons d'une musique militaire produite par des haut-parleurs. Certains des coups de pinceau avaient un aspect strié, et on pouvait déceler de "courtes bribes de musique". Pour la quatrième expérience, le peintre parla le mot "bleu" pendant un coup de pinceau, et après une longue recherche, on pouvait réentendre le mot en frottant la toile avec la pointe.

Les expériences de Kleiner et Åström

Des années plus tard, des expériences similaires ont eu lieu en Suède à Göteborg, conduites par le professeur en archéologie Paul Åström et le professeur en acoustique Mendel Kleiner 2.

Leurs expériences étaient consacrées à l'analyse des forces agissant sur une pointe ou son équivalent (plume, stylet, etc.) en contact avec une surface tendre, et à l'étude de la possibilité d'un enregistrement contemporain sur un cylindre de glaise avant sa mise au feu.

Les résultat sont plutôt encourageants pour ceux qui veulent entendre les sons de l'Antiquité. L'étude des pointes montrait que la force maximale sur une pointe éventuelle (dans ce cas une plume utilisée pour décorer un pot par gravure) apparaîtrait aux hautes fréquences, celles qui portent les consonnes d'un discours, donc l'information maximale.

L'enregistrement contemporain a donné un assez bon résultat. Un cylindre de terre glaise fut façonné sur un mandrin de Dictaphone et un signal de 400 Hz fut enregistré avec une tête graveuse électrique à enregistrement latéral. Après la cuisson de ce cylindre, on pouvait encore l'installer sur le mandrin après ajustage, et le résultat pouvait être à la fois entendu et mesuré. Le niveau de bruit à 400 Hz était à peu près le même que le niveau du signal, mais à 1 ou 2 kHz il était considérablement plus faible, ce qui pourrait faciliter la restitution de toute voix enregistrée.

Mais en fait?

Ainsi, des expériences ont montré que le son peut être enregistré dans de la peinture sur une toile, et sur une surface de glaise, c'est-à-dire aujourd'hui, si vous voulez enregistrer un son. Mais si on veut récupérer des sons vieux de plusieurs centaines d'années, on aurait à rechercher des objets à la surface desquels des sons auraient été enregistrés accidentellement. Aussi faudrait-il avoir une idée sur où commencer. Ce dont on a besoin est:

  1. Une surface assez tendre pour recevoir une empreinte de la faible énergie d'un son, ensuite qui soit solidifiée avant que cette empreinte ne soit barbouillée au delà de toute reconnaissance possible.
  2. Cette surface devrait avoir été formée pendant un mouvement, puisque il faut un axe des temps le long duquel il y aurait à chercher un son enregistré..
  3. Perpendiculairement à cet axe des temps, il faut un mouvement produit par les vibrations sonores. Ce pourrait être un mouvement de l'outil utilisé pour travailler la surface, comme dans le cas du tour de potier, ou de la surface elle-même, comme dans le cas de la toile peinte.
  4. La surface devrait avoir traversé les ravages du temps plus ou moins dans son état original, si on voulait en tirer quelque son à travers le bruit. De plus elle ne devrait avoir été couverte d'aucune substance adoucissant les marques de surface.

Tout ceci nous laisse un nombre très restreint d'objets précieux pour tenter notre chance, et dont la surface enregistrée devrait aussi être assez ancienne pour donner quelque sens à cette recherche. Depuis les 100 dernières années, ou un peu plus, nous avons des enregistrements intentionnels d'une qualité et d'une durée que l'on ne saurait espérer en archéoacoustique.

Une oeuvre souvent citée dans les journaux comme source possible de sons est la Monna Lisa (La Joconde) de Léonard de Vinci, ancienne de 500 ans. Elle ne semble offrir aucune possibilité d'entendre la voix de Léonard, pas plus que celle de Monna Lisa toutefois, puisqu'elle est peinte sur du bois, un matériau probablement trop rigide pour avoir vibré assez en l'occurrence.

Christer Hamp, 1999

  1. Acoustic Recordings from Antiquity, by Richard G. Woodbridge, III (Proceedings of the IEEE, vol. 57, No. 8, August 1969, pp. 1465-1466).

  2. The Brittle Sound of Ceramics - Can Vases Speak? by Mendel Kleiner and Paul Åström (Archaeology and Natural Science, vol. 1, 1993, pp. 66-72, Göteborg: Scandinavian Archaeometry Center, Jonsered, ISSN: 1104-3121).

Joignez vous à cette discussion:
Sommaire E-mail