Version: 19 février 2000 |
par Christian Pillet, 2000
La question est d'importance et mérite bien qu'on s'y arrête quelques minutes ! Comme tout collectionneur, par essence un peu conservateur, je disposais, il y a encore quelques mois, de cylindres couverts de moisissures, donc inaudibles, donc sans intérêt.... Pas question, cependant, de les jeter, car on ne sait jamais... et avec la naïveté inhérente à beaucoup de collectionneurs, je pensais que, peut-être un jour, quelque chimiste de génie trouverait le moyen d'éliminer ces maudits champignons ! J'ai moi-même essayé quelques dizaines de produits chauds ou froids, concentrés ou dilués, simples ou mélangés, anodins ou dangereux..., avec, bien souvent, comme résultat final, la destruction du cylindre ! Bien que ce ne soit pas l'objet de l'article, je vous livre ici les résultats de mes recherches dans ce domaine : on obtient le meilleur résultat en ne faisant RIEN, si ce n'est, éventuellement, d'enduire le cylindre d'une couche de silicone vendu en bombe aérosol par les droguistes pour faire briller les meubles, d'essayer de lire le cylindre avec une tête stéréo puis de traiter informatiquement le signal ainsi obtenu. J'ai remarqué, en effet, que le champignon mangeait effectivement la cire du cylindre, donc le son qui y était inscrit, mais qu'il avait tendance à remplir par sa propre substance le trou qu'il avait fait. On peut donc, avec beaucoup de chances, retrouver une petite partie du son original... Mais je pense qu'il y a mieux à faire avec ces cylindres inaudibles : c'est de les rendre audibles... Non, ceci n'est pas une plaisanterie, c'est au contraire très sérieux et je m'étonne que bien peu de personnes ne se soient intéressées à ce problème. Le principe est simple : on rabote soigneusement le cylindre afin de faire disparaître la moisissure et obtenir un beau cylindre tout neuf et tout brillant... ensuite - et c'est là la difficulté - on grave sur ce cylindre une nouvelle musique à l'aide d'un appareil que l'on a construit spécialement dans ce but et que je vais essayer de décrire en insistant sur les problèmes posés et, surtout, sur les solutions envisagées. J'ai commencé par utiliser le mécanisme d'un phonographe conventionnel : le Pathé Coquet que j'actionnais avec un moteur de platine Akaï, en modifiant le diamètre d'un des paliers d'entraînement de la courroie pour que la vitesse de rotation du cylindre soit proche des 160 tours/minute des cylindres Pathé. Très rapidement, de peur d'abîmer mon Pathé, j'ai été conduit à reconstruire un phonographe, entièrement orienté vers le but fixé : la gravure du cylindre. Après de multiples tâtonnements, de nombreux échecs et beaucoup de questions sans réponses lancées sur Internet, l'appareil s'est peu à peu stabilisé et je suis maintenant en mesure de le décrire, en énonçant quelques règles essentielles dont le respect conditionne la réussite. |
La structure de base Le cylindre devant tourner très régulièrement, sans à-coups et surtout sans ralentir quand le stylet grave le sillon, j'ai pris comme structure de base un magnétophone GRUNDIG TK 46 débarrassé de tout ce qui n'était pas utile au graveur. Le moteur, assez puissant, entraîne par une courroie le volant d'inertie du magnétophone A partir de là le mouvement de rotation est transmis, par un jeu de pignons et de poulies, à un mandrin de Pathé "N° 0", seule concession au passé, mais indispensable pour que le cylindre soit bien soutenu. Le dispositif de rembobinage rapide du magnétophone a été également conservé. Son nouveau rôle est d'assurer la rotation régulière de la vis sans fin qui permet, ainsi qu'on va le voir, au bras qui soutient la tête de gravure de se déplacer le long du cylindre. |
Le graveur C'est, bien sûr, l'élément principal du dispositif. Le son étant la résultante de phénomènes vibratoires j'ai pensé que le haut-parleur, outil "vibrant" par excellence, était un outil très pratique pour produire les vibrations qui seront ensuite figées dans la cire. C'est donc lui qui, par analogie, transformera le signal électrique en vibrations mécaniques qui, transmises à un stylet, iront impressionner le cylindre. En d'autres termes, la source sonore que l'on veut enregistrer est lue par un appareil ad hoc, disons, pour fixer les idées, un magnéto à K7. Ce son est envoyé à un haut-parleur qui vibre et fait vibrer solidairement le bras long du système porte-aiguille d'une vieille tête de phonographe. Le bras court évidemment solidaire du précédent fait vibrer, avec une amplitude plus faible mais une force plus grande, un "burin" qui, situé en lieu et place de l'aiguille, grave le cylindre tournant devant lui. Le bras est tout simplement collé à la membrane du haut-parleur (provenant d'un vieux casque). Un des multiples avantages du haut-parleur c'est de pouvoir faire varier la puissance du son grâce au potentiomètre de l'ampli sur lequel il est branché. Cet avantage sera déterminant quand, au cours des essais, on fera varier le paramètre "force" du son. Dans le même temps la tête et son bras-support se déplacent régulièrement, parallèlement à l'axe du cylindre, grâce à la vis sans fin évoquée plus haut. La gravure est donc une spirale qui parcourt tout le cylindre. On constatera qu'il n'y a là rien de très nouveau puisqu'on retrouve ce dispositif sur tous les phonographes un peu évolués du début du siècle dernier (nous sommes en l'an 2000). |
Le burin C'est la clef de la réussite... ou de l'échec. Il faut procéder par approximations successives et laisser la place à l'imagination, la réflexion et l'observation. On fait un essai... que l'on écoute ensuite. En général, on n'entend qu'un bruit affreux qui ne ressemble en rien au son que l'on a voulu enregistrer... Puis un jour, sans raisons apparentes, on entend quelque chose de très ténu que l'on affine peu à peu. C'est long, très long, mais quelle joie lorsqu'on réussit enfin à graver une minute entière de sons audibles et (presque) harmonieux ! Voici quelques éléments qui semblent stables et qui permettent de normer cette pièce essentielle du dispositif.
Le cylindre Sans cylindre, pas de gravure... Conservons donc précieusement ces cylindres tant dédaignés parce que couverts de moisissures ! (NDA : Je vous les achète si vous m'en proposez à des prix raisonnables). Bien que moisis, les cylindres doivent être en bonne santé. Les cylindres fêlés ne résistent pas aux différents traitements qu'on leur impose : ils explosent littéralement ! ! ! La préparation du cylindre est une phase importante du processus car elle conditionne la qualité de l'enregistrement, en particulier, l'intensité du bruit de surface. A partir d'une perceuse fixée à un support, j'ai fabriqué un tour rudimentaire, tournant à vitesse raisonnable, qui me permet de raboter (à la main et sans porte-outils) les cylindres candidats à l'enregistrement. C'est là qu'interviennent le coup de main et le savoir faire, acquis à force de faire exploser les cylindres : si le rabotage est trop timide, les anciens sillons et les champignons ne disparaissent pas entièrement. S'il est trop appuyé : explosion ! Les quelques rares aventuriers qui se sont essayés à graver des cylindres sont unanimes : les cylindres ne sont plus ce qu'ils étaient, ils ont vieillis et se sont durcis. Cela rend la gravure plus difficile dans la mesure où le sillon et la modulation (la trace) du son effectuée par le burin s'accompagne de petits éclats qui produisent un très fort bruit de fond. Pour parer à cette difficulté, je propose de chauffer le cylindre pour en ramollir la surface. Mais attention ! Il faut le faire très progressivement sous peine de fendre le cylindre car il ne supporte pas les variations brusques de température. Les résultats Ils sont pour l'instant assez décevants pour deux raisons essentielles, me semble-t-il. Comme je l'ai dit plus haut, les cylindres ont vieilli et ne sont plus aussi "tendres" qu'à l'origine, d'où éclats et bruit de fond. Le burin n'a sans doute pas la forme ni l'inclinaison souhaitée pour remplir efficacement son office. J'ai cependant réussi à graver deux ou trois cylindres audibles à la fois sur phonographe d'époque (c'est le vrai test) et par lecture avec une cellule magnétique et traitement du son par ordinateur (c'est plus facile). Parmi les réussites on peut citer : Help ! par les Beatles ; Petites réflexions d'ordre déontologique Les résultats que j'obtiens ne sont pas très fameux et il ne peut y avoir de doute sur l'origine de ces cylindres. Néanmoins, je m'attache à ne graver que des morceaux qui ne pouvaient pas exister du temps des cylindres (exemple les Beatles), cela enlève toute ambiguïté à l'opération. On peut, en effet, imaginer que, la qualité s'améliorant (le savoir-faire aussi) on soit tenté de "restaurer" des pièces rares, en regravant ces cylindres après en avoir raboté la gravure d'origine devenue inaudible. C'est pour éviter ce malentendu, hautement improbable mais néanmoins possible, que je m'attache à ne graver que des titres ou des interprètes récents. C'est toujours un plaisir pour moi que de surprendre mes amis en leur faisant écouter un cylindre des Platters chantant Only you...
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